« Il émane de la Libye un charme tout particulier, qui tient à ses paysages, mais aussi et surtout à ses habitants… »
« …Il émane de la Libye un charme tout particulier, qui tient à ses paysages, mais aussi et surtout à ses habitants. Nul n’a pu séjourner, ni brièvement que ce fût, sur ce rivage des Syrtes sans en subir la subtile attirance. L’importance des vestiges du passé n’est pas le moindre élément qui entre en composition dans cette alchimie sans cesse recomposée selon l’humeur et les attirances de chacun ». C’est par ces mots que le professeur André Laronde (1940-2011) a introduit l’un de ses livres grand public sur la Libye.
Fruit d’une sédimentation historique particulièrement fertile, le patrimoine historique libyen reste exceptionnel par sa richesse et sa diversité. Les campagnes de fouilles amorcées au 19e siècle par des historiens français, italiens, et britanniques, et poursuivies par nombre d’institutions européennes, canadiennes ou japonaises, ont permis d’identifier quelque centaines de sites archéologiques d’intérêt. Cette terre, qui a connu tant de peuples et de religions, abrite aussi un vaste patrimoine ethnographique, anthropologique et architectural.
Néanmoins, il est certain maintenant, six ans après le déclenchement de la guerre civile libyenne, que ce patrimoine risque de disparaître. Des centaines de photos et de vidéos sont diffusées sur les réseaux sociaux, des dizaines d’articles et de rapports traitant ce sujet montrent le terrible degré de destruction de quelques sites antiques comme Leptis Magna, Oea, Apollonia et Olbia-Téodorias, plusieurs colloques aux niveaux régional et international ont été organisés, quelques mesures ont été prises, et pourtant la destruction systématique du patrimoine libyen continue à cause d’un conflit militaire sans fin.
Une simple comparaison montre que nous avons dépassé le stade catastrophique que le patrimoine libyen a connu pendant l’embargo (1988-2003). En effet, si en Syrie et en Irak, des musées ont été victimes de pillage et des sites archéologiques fouillés clandestinement, dans le pays qui nous occupe ici, à savoir la Libye, d’autres menaces se sont ajoutées. Depuis 2011, ces richesses culturelles sont toujours en danger et la situation des musées, des sites archéologiques et des monuments historiques comme les lieux de culte, les châteaux et les citadelles est de plus en plus préoccupante.
Un grand nombre de sites d’époque médiévale et moderne ont été détruits de façon irréversible
Certains ont subi des dégâts légers (surtout dans la région de Cyrénaïque), d’autres, notamment ceux qui occupent des positions stratégiques (régions de Tripolitaine et du Fazzan), ont subi des dommages plus importants comme c’est le cas dans le site antique de Sabratha. Un grand nombre de sites d’époque médiévale et moderne ont été détruits de façon irréversible, car ils sont souvent proches des zones de combats, voire y sont impliqués et deviennent des champs de bataille et des cibles.

NASSER NASSER/AP/SIPA
Les menaces peuvent être regroupées en plusieurs catégories. Tout d’abord, depuis 2011, tous les travaux de restauration de monuments et de sites archéologiques ont été arrêtés et si ces opérations de sauvegarde ne sont pas bientôt relancées, les vestiges de plusieurs monuments, notamment ceux qui ont été bâtis à l’époque hellénistique et romaine, seront condamnés à s’effondrer, car la structure de ces monuments, très fragile, appelle à des travaux de renforcement réguliers. Ensuite, nous avons observé dès le début du conflit libyen, l’installation des combattants dans des monuments historiques, des musées et des lieux de cultes antiques et médiévaux dominant quelques points stratégiques.
Les informations provenant du terrain montrent le développement du trafic des antiquités et le début de dégradation de sites archéologiques jusque là épargnés
Avec l’aggravation du conflit armé, d’autres menaces sont apparues : plusieurs sites archéologiques comme Charax et Taucheira sont pris en otage par les différentes forces armées qui ne prennent aucune responsabilité, et n’éloignent même pas les armes lourdes des zones archéologiques. Les informations provenant du terrain montrent le développement du trafic des antiquités et le début de dégradation de sites archéologiques jusque là épargnés comme Cyrène et Ptolémaïs avec une absence totale de mesures juridiques pour protéger certains musées.
Sans entrer dans les détails techniques de ces destructions considérables que le patrimoine archéologique libyen a subi, il semble vital de lancer un appel à la communauté internationale, aux institutions académiques concernées, à l’Unesco et l’Alsco afin de mettre fin à la dégradation quotidienne de ce qui reste du patrimoine archéologique et culturel libyen.